Tribune pour l’océan

Tribune parue dans Libération à l'occasion de la Journée mondiale des océans

Tribune : Vers un titanic diplomatique ?

À l’occasion de la Journée mondiale des océans 2024, nous avons co-signé une tribune avec 51 autres ONG et organisations. Car il nous reste 1 an.

Tribune parue dans Libération à l'occasion de la Journée mondiale des océans

Un an. C’est le temps qu’il reste à la France pour éviter un naufrage diplomatique devant les chefs d’État du monde entier qui se réuniront à Nice dans un an jour pour jour à l’occasion de la conférence de l’ONU sur l’océan. Car la France, deuxième puissance maritime mondiale, qui n’a de cesse de protéger les lobbies de la pêche plutôt que l’océan, doit urgemment balayer devant sa porte et faire preuve de cohérence avant d’aller donner des leçons au reste du monde. Ces dernières semaines, ce sont d’ailleurs plus de 45 000 citoyen·nes et plus de 120 ONG et collectifs qui se sont réunis au sein de la « coalition citoyenne pour la protection de l’océan » autour d’une feuille de route à mettre en œuvre de toute urgence pour conjurer l’effondrement de la vie océanique.

L'enjeu est vital

L’océan est le poumon et le thermostat de notre planète. Il absorbe près du tiers de nos émissions de CO2 et régule le climat à la surface de la Terre. Il produit la moitié de l’oxygène que nous respirons, mais il est lui-même à bout de souffle.
Depuis un an, le programme européen d’observation de la Terre « Copernicus » enregistre des records de température à la surface de l’océan.
Le monde dans lequel nous sommes nés a déjà cessé d’exister. Nous entrons en territoire inconnu. En Atlantique Nord, la biomasse s’est effondrée : les populations de prédateurs ont chuté de plus de 90% depuis 1900 sous les assauts constants des flottes de pêche industrielles. Dans le Pacifique, les baleines à bosse meurent de faim. Les coraux blanchissent à vue d’œil. En Antarctique, des colonies de manchots empereurs sont décimées. La banquise arctique estivale pourrait disparaître dès 2030.

Protéger l’océan est une urgence absolue pour sauver le climat, la biodiversité et l’humanité. En 2020, l’UE s’est engagée à protéger 30% de ses eaux, dont un tiers sous protection stricte. Et, dans la foulée de la COP15 sur la biodiversité à Montréal en
décembre 2022, la Commission européenne a publié un « Plan d’action pour l’océan » recommandant d’interdire le chalutage de fond dans toutes les aires protégées européennes.
Car cette technique de pêche, qui consiste à racler les fonds marins avec des filets lestés, détruit tout sur son passage et compromet le rôle de puits de carbone de l’océan en relâchant dans l’atmosphère le CO2 enfoui dans les sédiments marins.

Mais à ce stade, la France n’a pas la crédibilité requise pour accueillir la conférence de l’ONU : en protégeant réellement moins de 0,1% de ses eaux métropolitaines, notre politique de protection de nos eaux est vide. Au-delà des grands discours et de quelques rares victoires à la Pyrrhus des ONG, c’est le néant.
Et cela ne fait plus illusion. En septembre 2023, la prestigieuse revue scientifique Nature épinglait la France dans un éditorial au vitriol dénonçant « l’hypocrisie qui menace les océans du monde ». En avril 2024, c’était au tour de 260 chercheurs français d’alerter sur « la défiance grandissante qui s’installe dans la communauté scientifique vis-à-vis du pouvoir politique ».

Car, alors que 2024 a été décrétée « Année de la Mer » par Emmanuel Macron, que fait la France ?

Rien.
Pis, elle trompe, elle intimide et elle fait diversion pour que rien ne change.
Tout d’abord, la France trompe en affirmant que 30% de nos eaux sont protégées et qu’aucun navire-usine n’y opère. C’est faux.
En France métropolitaine, moins de 0,1% de nos eaux sont protégées selon les standards scientifiques et conformément aux recommandations internationales. Cet hiver, des chalutiers de plus de 80 mètres opéraient ainsi dans les aires marines « protégées » de Manche et de Mer du Nord, au grand dam des pêcheurs artisans des Hauts-de-France qui ont récemment lancé un appel de détresse pour que les techniques de pêche destructrices soient interdites le long du littoral afin que les écosystèmes et leur activité soient protégés.

Ensuite, la France intimide.
Alors qu’elle lançait en grande pompe en février 2022 avec le Royaume-Uni une « Coalition de la haute ambition » en faveur de la protection de la biodiversité, elle a changé son fusil d’épaule et formé il y a quelques semaines une coalition européenne antiécologique contre… le Royaume-Uni.
Paris se livre ainsi à une virulente cabale diplomatique pour torpiller l’ambition écologique de Londres qui commence, enfin,
à interdire le chalut de fond dans certaines de ses aires protégées.

Enfin, la France fait diversion.
Chaque année, elle accorde près de 200 millions d’euros d’aides gasoil à quelque 800 chalutiers français. Mais, plutôt que de remettre en cause ces subventions qui partent en fumée et qui participent à la destruction de plus de 600.000km2 de fonds marins dans les eaux françaises et européennes, la France a pris fait et cause pour la protection de la haute mer et pour un moratoire sur l’exploitation minière dans les eaux internationales, y engageant des moyens de communication considérables.
Loin de faire preuve de cohérence, la France instrumentalise ainsi son engagement bienvenu en faveur
de la protection des eaux internationales pour tenter de masquer ses actions diplomatiques néfastes et sa défense acharnée du statu quo dans les eaux françaises et européennes.
Se fondant sur les recommandations scientifiques internationales, la « coalition citoyenne pour la protection de l’océan » défend quinze points.
Parmi eux, trois mesures clés marqueraient un tournant par rapport au statu quo mortifère promu aujourd’hui : l’interdiction du chalutage dans les aires marines dites « protégées », la protection des écosystèmes et des pêcheurs côtiers en excluant les méga-chalutiers de la bande côtière, et le fléchage des subventions publiques vers la transition sociale et écologique de la pêche plutôt que vers les techniques de pêche destructrices.
À défaut d’adopter dans les tous prochains mois un tel tournant, la parole diplomatique de la France se résumera, le 8 juin 2025, à une série de vœux pieux et de grands discours sans lendemain.


Cette tribune est parue dans Libération le 8 juin 2024.

La réponse de la Commission Européenne pour l’initiative Stop Finning

La réponse de la Commission Européenne pour l’initiative Stop Finning

 

La Commission européenne et Virginijus Sinkevicius, commissaire européen, reconnaissent l’importance des requins et leur protection. Ce qui est déjà une belle victoire pour les requins ! Nous allons creuser un peu plus en détail la réponse.

L’interdiction du commerce d’ailerons détachés soulève des préoccupations quant à ses impacts socio-économiques car la flotte de l’UE concernée pêcherait moins de requins en eaux internationales. D’après la Commission, une telle réduction d’activité pourrait ouvrir la voie à des pratiques moins durables de la part des pêcheries non-UE. Par conséquent, toute action entreprise au niveau de l’UE doit être complétée par des mesures au niveau international afin d’assurer des conditions de concurrence équitables et des effets environnementaux positifs.

Cette année, la Commission va donc :

  • “Commencer sans délai les travaux préparatoires en vue de lancer, d’ici la fin de 2023, une évaluation de l’impact sur les conséquences environnementales, sociales et économiques de l’application de la politique des « ailerons naturellement attachés » à la mise sur le marché des requins dans l’UE, que ce soit pour la consommation au sein de l’UE ou pour le commerce international (importations et exportations).”
  • “Examiner, d’ici la fin de 2023, les meilleurs moyens juridiques pour demander des informations plus détaillées afin d’identifier les espèces de requins et leurs produits respectifs lors des importations et des exportations, et prendre une décision en vue de son entrée en vigueur au plus tard le 1er janvier 2025.”
  • « Renforcer la manière dont la législation de l’UE est appliquée en ce qui concerne le suivi des activités de pêche et de marché, les mesures de contrôle concernant la transformation et la commercialisation, ainsi que les importations et les exportations de produits de requin, ainsi que les règles de traçabilité et d’étiquetage. »
  • « Prendre des mesures supplémentaires au niveau international et plaider en faveur d’une action accrue pour protéger les requins en danger et veiller à ce que les populations de requins commerciaux restent en bonne santé. Elle visera à interdire efficacement le démembrement des requins dans le monde entier, à assurer un contrôle efficace des flux commerciaux de produits de requin à l’échelle mondiale, et à réduire la demande de produits de requin provenant de pêcheries non durables. »

L’histoire de “Stop Finning – Stop the Trade” n’est donc pas encore terminée et elle prend plus que jamais une direction très positive. Il y a des mesures concrètes qui vont être prises par la Commission européenne.

Dans les mois à venir, nous veillerons à ce que la voix de 1,1 million de citoyens européens soit entendue. Nous resterons en première ligne pour définitivement mettre en terme au commerce d’ailerons de requins en Europe !

Merci pour votre soutien et votre engagement !

Fin juillet, le commissaire européen Virginijus Sinkevicius a fait une visite au port de Vigo, la principale plaque tournante du commerce du requin en Europe. Habituellement, dans ce port, jusqu’à 8 navires de pêche débarquent des requins chaque semaine. Mais lors de la visite du commissaire, aucun requin n’a été débarqué.

Si l’industrie de la pêche ne peut pas montrer ses opérations quotidiennes lors de la visite des représentants de l’UE, alors que cachent-ils ?

Valorisation des sciences participatives en Méditerranée française pour la protection des espèces rares et menacées d’élasmobranches

Valorisation des sciences participatives en Méditerranée française pour la protection des espèces rares et menacées d’élasmobranches

 

Lapinski Matthieu, PONS Miquel, Van AALDERINK Eline, CROS Eric, MARESCOT Lucile, CORNIL Laetitia, AUSCHER Fabrice ont récemment publié un rapport intitulé « Assistance à la synthèse et à la valorisation des sciences participatives en Méditerranée française en vue d’un plan d’actions pour les espèces rares et menacées d’élasmobranches ». Ce rapport, commandité par l’Association AILERONS, présente une étude approfondie sur les espèces d’élasmobranches rares et menacées dans la région méditerranéenne française, en mettant l’accent sur l’utilisation des sciences participatives pour la collecte de données et l’élaboration d’un plan d’actions.

Objectif de l’étude :

L’objectif principal de l’étude réalisée était de rassembler des données sur les espèces rares et menacées d’élasmobranches en Méditerranée française en utilisant des approches de sciences participatives. Les sciences participatives impliquent des citoyens, des pêcheurs, des plongeurs et d’autres parties prenantes dans la collecte de données scientifiques, ce qui permet d’obtenir des informations à plus grande échelle et plus complètes sur les espèces étudiées.

Méthodologie :

Les chercheurs ont mis en place un réseau de collecte de données participatives en collaborant avec des associations locales, des clubs de plongée et des pêcheurs professionnels. Les observations ont été enregistrées à l’aide d’applications mobiles et de formulaires en ligne, ce qui a permis de recueillir un grand nombre de données sur les espèces d’élasmobranches présentes dans la région.

  • Regroupement des données de 15 organismes de sciences participatives
  • Données de 1964 jusqu’en 2021, avec une augmentation des observations depuis les années 2000 et un pic en 2019
  • Echantillonnage de l’ensemble de la façade de Méditerranée française
  • 771 contributeurs.
  • 19 taxons de requins et 17 taxons de raies 36 taxons au total

Résultats :

Les résultats de l’étude ont mis en évidence la présence de nombreuses espèces menacées d’élasmobranches en Méditerranée française, y compris des requins et des raies endémiques. Les données collectées ont fourni des informations précieuses sur la répartition géographique, l’abondance et les habitats préférentiels de ces espèces. Ces informations sont essentielles pour élaborer des mesures de conservation efficaces et pour promouvoir une gestion durable des populations d’élasmobranches.

Répartition des observations des 6 espèces d’élasmobranches les plus contactées au sein des programmes de sciences
participatives recensés en Méditerranée française. (Lapinski et al 2022)

Conclusion :

Le rapport constitue une contribution précieuse à la conservation des élasmobranches dans la région. En combinant l’expertise scientifique et la participation citoyenne, cette étude met en évidence l’importance des sciences participatives pour la collecte de données et la sensibilisation du public à la protection de la biodiversité marine. Les recommandations formulées dans le rapport fournissent une base solide pour la mise en œuvre de mesures de conservation efficaces et pour la préservation des espèces d’élasmobranches menacées dans la Méditerranée française.

 

Lapinski Matthieu, PONS Miquel, Van AALDERINK Eline, CROS Eric, MARESCOT Lucile, CORNIL Laetitia, AUSCHER
Fabrice (2022). Assistance à la synthèse et à la valorisation des sciences participatives en Méditerranée française
en vue d’un plan d’actions pour les espèces rares et menacées d’élasmobranches. Rapport Association AILERONS,
Montpellier, France. 30 p. + Annexes

Synthèse disponible sur demande.

Tableau regroupant les organismes gestionnaires de données associées aux élasmobranches en Méditerranée française consulté dans le cadre de l’étude (Lapinski et al 2022)