Etude sur la concentration de mercure dans les requins

Généralité mercure et bioaccumulation

Le mercure est un élément présent naturellement sur Terre avec comme source potentielle les éruptions volcaniques ainsi que les feux de forêts. Néanmoins, les activités humaines ont drastiquement augmenté les émissions de mercure, notamment à cause de l’utilisation de ce dernier dans les activités minières et pétrolières. Depuis octobre 2013, la convention de minamata (https://www.mercuryconvention.org) a été ratifiée par de nombreux pays afin de réguler les émissions de mercure dans l’environnement. 

Le mercure (Hg) est un élément trace métallique assimilable par les organismes vivants sous une forme chimique biodisponible et très toxique: le méthylmercure (MeHg). Le méthylmercure est stable et possède une forte affinité pour les protéines. Il va ainsi pouvoir s’accumuler dans les organismes (bioaccumulation) et se propager le long de la chaîne alimentaire (bioamplification) (Kibria et Haroon, 2015). Le mercure entre dans la chaîne alimentaire suite à la consommation de proie contaminée et/ou directement par les branchies (Vermont department of Environmental Conservation, 2003).  La concentration de mercure dans l’organisme va dépendre de la position de l’organisme dans la chaîne alimentaire, de sa taille, de son âge ainsi que de la durée pendant laquelle il sera exposé (Havelkova et al, 2008).

Ces 2 processus (bioaccumulation et bioamplification) amènent à de fortes concentrations de mercure chez les requins. Ce sont le foie et les muscles qui possèdent les concentrations les plus élevées, notamment à cause de l’affinité du mercure avec les protéines ainsi que de par le rôle d’accumulateur et de détoxifiant de contaminants du foie (havelkova et al., 2008). Ces concentrations sont généralement plus élevées que chez les autres espèces de poissons couramment consommées. Chez les requins, les Carcharhiniformes et les Lamniformes présentent les plus fortes concentrations de mercure dans les tissus musculaires (Tiktak et al., 2020). 

Mercuroussette

Initié en 2012 par Ailerons dans le cadre d’un partenariat avec l’Université de Montpellier, Mercuroussette est un projet ayant pour objectif de mesurer la concentration en mercure de roussettes (Scyliorhinus canicula) pêchées dans l’est du Golfe du Lion. Les requins étant extrêmement pollués par le mercure et la roussette étant un poisson vendu dans les poissonneries, nous avons cherché à connaître les niveaux de mercure chez ce poisson afin de le comparer aux normes fixés pour la consommation de poissons par l’OMS. En décembre 2012, 50 individus furent disséqués par des étudiants de licence EBO et les échantillons envoyés au laboratoire d’analyse de l’Ifremer de Toulon. Les niveaux de mercure mesurés ont été comparés au seuil de consommation préconisé par l’OMS. Ainsi, 86% des échantillons présentaient une concentration en mercure supérieure à la limite de 0.5 mg.kg-1 préconisée. De plus, les roussettes possédaient une concentration de mercure moyenne de 1.84mg.kg-1, soit une teneur en mercure 3,68 fois supérieure à la dose préconisée par l’OMS.  La consommation de roussettes méditerranéennes présente donc un risque pour la santé humaine. En définitive, L’association Aileron conseille donc d’éviter la consommation de ce poisson afin d’éviter tout impact négatif sur la santé humaine.

En moyenne 1,84 µg.g -1 pf de mercure  soit 1.84mg.kg-1 : L’OMS recommande de ne pas consommer de poissons contenant plus de 0,5mg de mercure par kilogramme ; aux Etats-Unis, la norme est de 0,3mg/kg

Contamed

Un travail à long terme fut engagé par l’Ifremer au travers du projet Contamed pour confirmer les tendances observées lors du projet Mercuroussette. Débuté en juin 2012, il a pour but de présenter les résultats de contaminations en métaux lourds, PCB et PBDE dans les tissus de quatre espèces de poissons en Méditerranée française – merlu, rouget, roussette et sébaste. Les  PCB (polychlorinated biphenyls) et PBDE (polybrominated diphenyl ethers) sont des polluants organiques persistants (POPs) et dont leurs usages ont été respectivement utilisés dans les produits plastiques (PCBs) ainsi qu’en tant que retardateur de flammes (PBDE). Ayant une très longue durée de vie et étant toxiques pour l’environnement, leur utilisation à été régulé voir banni par la convention de Stockholm. Néanmoins et malgré leur interdiction, ces polluants seront encore présents dans l’environnement pour de nombreuses années et leur toxicité continuera à induire des impacts négatifs sur l’environnement.

Sur les 531 échantillons de muscle analysés pour déterminer leur concentration en mercure (échantillons issus de 109 merlus, 150 rougets, 142 roussettes et 129 sébastes), il ressort que la petite roussette et le sébaste chèvre sont les animaux qui présentent les concentrations en mercure les plus élevées. Ce sont également eux qui présentent les plus importants pourcentages d’individus dont les seuils de concentration au mercure sont supérieurs au seuil réglementaire.

 La convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants a été adoptée en 2001 en Suède et vise à protéger la santé humaine et l’environnement des polluants organiques persistants. http://www.pops.int/TheConvention/Overview/tabid/3351/Default.aspx

Mécanisme de détoxification et impact du mercure sur la roussette.

Comme dit précédemment, le foie est le principal organe de détoxification de ces contaminants et de nombreux effets délétères peuvent avoir lieu parmi les espèces de requins. Des impacts ont été identifiés au niveau du cerveau du fait des propriétés neurotoxiques du mercure (Hauser Davis, 2020). Les gonades pourraient aussi s’avérer être impactées, entraînant une altération de la mobilités des spermatozoïdes et une disruption des sécrétions hormonales chez les mâles (Hauser Davis, 2020). Au-delà de l’enjeu de consommation, la présence de mercure se révèle également problématique pour la physiologie de nombreuses espèces de requins. Les niveaux relevés pourraient rendre plus vulnérables les populations du fait de l’altération des fonctions reproductrices. De plus amples études sont donc nécessaires afin d’identifier l’impact du mercure sur les populations de roussettes, et plus généralement des espèces de requins en Méditerranée.

Bilan

Le mercure est particulièrement présent dans les tissus musculaires des requins et à une concentration qui peut gravement affecter la santé humaine en cas de consommation régulière. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé, le mercure est toxique pour les systèmes nerveux. Sa consommation peut entraîner des troubles neurologiques et comportementaux (OMS, 2017). De plus, selon l’Agence de la Protection environnementale des États-Unis, la consommation hebdomadaire de requins dépasserait de trois fois la limite maximale de consommation de mercure qu’elle recommande – max. 113g hebdomadaire par adulte. Ces niveaux sont très  préoccupants puisqu’ils pourraient causer des impacts physiologiques notables sur la santé humaine et la santé des populations de requins. Nous préconisons donc la prudence sur la consommation de ces poissons, voire aucune consommation de produits contenant du requin (steak, darne, cartilage et huile). 

Attention : De nombreuses espèces de requins (roussette, peau bleue, etc.) peuvent être vendues sous des noms vernaculaires – saumonette, veau de mer – induisant chez le consommateur des erreurs d’appréciation de l’espèce commercialisée. Au regard de l’enjeu sanitaire qu’il y a derrière, il semble essentiel de bien s’informer et se renseigner sur les produits mis en vente dans les poissonneries et autres distributeurs.